La soif de savoir
Fils d’une éminente famille juive de Zamość, doué d’une intelligence précoce, Peretz reçoit une éducation traditionnelle poussée et apprend l’hébreu, le russe, l’allemand, et plus tard
le français.
Cherchant très tôt sa voie entre profond sentiment religieux et raison, il découvre Maïmonide, la Haskala (les Lumières juives), la mystique juive, les littératures européennes et les ouvrages scientifiques.
S’il s’éloigne de la pratique religieuse à partir de 1878, il reste intéressé par la mystique juive et les études talmudiques.
Deux langues pour un auteur
Ses poèmes en hébreu publiés entre 1875 et 1877 ne se bornent pas à cultiver la satire propre à la Haskala. Influencés par les idées révolutionnaires, ils enrichissent la poésie hébraïque moderne de tonalités lyriques novatrices. En 1886, après une décennie pendant laquelle il a écrit en hébreu et en yiddish des textes inédits, Peretz recommence à publier en hébreu. Il créera durant toute sa vie dans les deux langues. Contre l’assimilation, il défend le yiddish. La ballade « Monish », sa première œuvre publiée dans la langue populaire (1888), est considérée comme le texte fondateur de la nouvelle poésie yiddish.
Le poète et la société
Devenu avocat à Zamość (1878), Peretz met en sourdine son activité littéraire pendant une dizaine d’années. Préoccupé par les questions sociales, il place ses espoirs dans le peuple, auquel il veut apporter l’instruction. Il rêve de fonder un lycée hébraïque et organise des cours du soir destinés aux travailleurs.
Installé à Varsovie (1889), il participe en 1890 à une expédition d’étude de la vie économique des Juifs, expérience qui l’influence profondément et lui fait redécouvrir le folklore juif. Dès le début des années 1890, il donne des conférences et lit ses œuvres devant des cercles clandestins d’ouvriers socialistes.
La conférence de Czernowitz
Dans les débats d’idées qui agitèrent la société juive à partir du milieu du XIXe siècle s’éleva la question d’une langue nationale juive. Les partisans du Bund, le parti socialiste juif, militaient pour le yiddish, langue du peuple méprisée par les intellectuels. L’hébreu, privilégié par l’intelligentsia pour l’expression écrite, était défendu par les sionistes en tant que langue originelle de la nation juive. Organisée par des yiddishistes en 1908 pour promouvoir la langue populaire, la conférence de Czernowitz (Bucovine), théâtre de débats passionnés, confirma le yiddish comme l’une des langues nationales juives. Dans son discours, Y.-L. Peretz incitait les auteurs à écrire des œuvres ambitieuses en yiddish.
Peretz et le hassidisme
Le hassidisme (de l’hébreu khassid, pieux), fondé au XVIIIe siècle en réaction à un judaïsme qui se tournait vers l’érudition plus que vers la spiritualité, mettait l’accent sur la ferveur et la prière. Il eut de nombreux opposants, dont les adeptes de la Haskala, les Lumières juives, qui produisirent toute une littérature satirique pour dénoncer ses défauts. La figure fondatrice du hassidisme fut Israël ben Eliezer (1700-1760), dit le Baal Shem Tov (maître du Bon Nom).
Son arrière-petit-fils, rabbi Nakhman de Braslav, donna à ses leçons la forme de contes en yiddish qui, par leur profondeur, leur poésie et leur art du récit, inspirèrent écrivains et penseurs, tels Y.-L. Peretz et Martin Buber. Peretz, plutôt libre penseur, s’appuya sur
les contes hassidiques pour aborder les questions existentielles de ses contemporains, faisant ainsi le lien entre tradition et modernité dans une société juive qui se cherchait.
Assimilation ou nationalisme ?
Le mouvement des Lumières juives (Haskala), initié à Berlin au XVIIIe siècle, se propagea dans le monde juif d’Europe orientale au XIXe siècle. Luttant contre l’obscurantisme, il militait pour l’intégration des Juifs dans la société moderne au prix d’une assimilation plus ou moins poussée. À Varsovie, certains tendaient vers une assimilation complète, contre laquelle s’élevait Y.-L. Peretz. En réaction aux pogroms des années 1880 apparut un nationalisme qui prit des formes très diverses : ainsi, le sionisme revendiquait un territoire en Palestine, le territorialisme, un territoire où qu’il soit, l’autonomisme, le droit des Juifs à être considérés comme une nation sans territoire propre mais ayant une culture et une langue – le yiddish.
Un engagement profond
Le début du XXe siècle voit Peretz toujours engagé dans le combat, légal cette fois, pour la culture des masses, notamment dans l’association Hazomir (Le rossignol) de Varsovie, véritable université populaire dont l’écrivain est l’âme.
Quand la guerre éclate en 1914, les persécutions contre les Juifs s’aggravent dans l’Empire russe et en particulier en Pologne. Peretz consacre ses forces à l’aide aux réfugiés, en particulier aux enfants pour lesquels il écrit des histoires et des chansons.
Créer avec les autres
C’est dans les projets collectifs dont Peretz est l’initiateur que son individualité artistique s’affirme.Les trois volumes de l’almanach Di yidishe biblyotek (La Bibliothèque juive) édités en 1891-1895, et son mensuel Yontev-bletlekh (Pages de fêtes, 1894-1895) marquent un renouveau de la création littéraire en yiddish. Il s’y lance à la conquête d’autres genres, comme la narration et le théâtre. Il écrit dans la plupart des journaux yiddish de ces années (Der veg – Le chemin, Fraynd – Ami, Haynt – Aujourd’hui). Son style original, pénétrant et rapide, favorise l’émergence de l’essai en yiddish.
Où est la voie ?
La collaboration de Peretz au journal sioniste Der Yud (Le Juif) à partir de 1899 marque une nouvelle orientation dans sa création. Il y publie nombre de ses récits hassidiques et contes à la manière populaire : parmi eux, « Oyb nisht nokh hekher » (Et plus haut peut-être), « A gilgl fun a nign » (Métamorphose d’une mélodie), « Tsvishn tsvey berg » (Entre deux montagnes).
Les priorités ont changé. Il ne s’agit plus de rejoindre le « vaste monde » comme à l’époque de la Haskala. Peretz, qui ouvre de nouvelles voies, littéraires et idéologiques, tout en s’appuyant sur la tradition, réussit une synthèse qui répond aux attentes de la jeunesse juive et des intellectuels.
Auteur de plusieurs drames dont les plus aboutis sont Bay nakht oyfn altn mark (La Nuit sur le vieux marché) et Di goldene keyt (La chaîne d’or), publiés en 1907, Peretz exprime dans ses pièces les conflits inhérents à la condition humaine, entre idéal et réalité, entre apparences et vérité. En filigrane apparaît la perpétuelle inquiétude de l’artiste et le questionnement sur son rôle.